Les professeurs des écoles travaillent plus qu’on le croit : enquête sur les coulisses de l’enseignement
Le travail des profs ne s’arrête pas au temps passé en classe face aux élèves. Une recherche menée en école primaire nous permet de mieux comprendre quelles sont ces tâches invisibles, indispensables à la réalisation de leur mission et qui pèsent sur des emplois du temps hebdomadaires de 45 heures à 48 heures.
Le temps de travail des professeurs des écoles en France fait l’objet de nombreuses représentations sociales négatives, quand il n’est pas franchement question de « profbashing ». En tête de ces croyances, se trouve celle qu’il s’agirait d’un métier aux horaires faibles et accommodants, idéal pour qui souhaite concilier vie privée et vie professionnelle (et notamment, donc, pour les femmes).
Cette sous-estimation de leur charge de travail ne manque pas de provoquer une blessure professionnelle profonde chez des profs des écoles en quête de reconnaissance. La recherche, en effet, montre que leur travail, ne se réduisant pas au temps passé face aux élèves, est en réalité complexe et sous-évalué. Elle offre un autre éclairage sur l’activité dite « de préparation », phénomène peu connu, dont on estimait jusqu’à peu qu’il était grosso modo strictement l’affaire de préparations didactiques (c’est-à-dire de préparations de séances de classe, de « leçons ») réalisées en amont de l’enseignement, et de corrections, réalisées en aval.
Plus encore, en dépit de son rôle incontournable pour l’enseignement, l’activité de préparation ne figure pas dans le cadre réglementaire du travail des professeurs des écoles. Elle n’est pas reconnue, ce qui signifie qu’elle n’est ni prescrite officiellement, ni pourvue de conditions de travail, ni rémunérée. D’ailleurs, d’un point de vue strictement juridique, elle ne relèverait pas d’un « travail » à proprement parler (qui s’inscrit nécessairement dans un lien avec le droit), mais bien d’une forme d’activité gratuite.
Mais alors qu’est-ce précisément que l’activité de préparation ? Quel rôle joue-t-elle pour l’enseignement et quelle part du travail total représente-t-elle ?
Des préparations qui ne s’arrêtent pas à la préparation de leçons
D’abord, la recherche montre que les préparations des professeurs des écoles sont aujourd’hui plus complexes qu’elles n’y paraissent, dépassant les seules préparations de « leçons ». Elles comprennent en réalité cinq ensembles, allant des préparations didactiques (D) aux préparations de planification (P), en passant par les préparations administratives (A), les préparations relatives à l’évaluation (E) ou celles relatives à la gestion des élèves (G).
De plus, ces ensembles s’interpellent les uns les autres. Par exemple, les préparations relatives à la gestion des élèves (G) sont étroitement liées à celles relatives à l’évaluation (E), elles-mêmes liées à des préparations didactiques (D) qui sont, elles, adossées à des préparations de planification (P). Les préparations administratives (A), quand bien même elles sont souvent « jugées sans valeur », y compris par le corps enseignant, trouvent en fait d’importantes ramifications avec l’intégralité des autres ensembles de préparations.
Mais cela n’est pas tout. En réalité, un sixième ensemble de préparations rend possibles les cinq premiers. Il s’agit des préparations relatives à l’organisation (O) de l’activité de préparation. En effet, en l’absence de moyens spécifiques, les professeurs des écoles s’organisent et organisent (O) leurs autres préparations (D, P, E, A, G). En clair, ils compensent l’absence de moyens octroyés à la préparation.
Concrètement, sur leur temps libre et « avec leurs propres deniers », ils font divers déplacements, des achats ou encore (ré)aménagent leur espace de travail. Et si certains niveaux (maternelle) ou certains domaines (arts, sciences) sont réputés nécessiter davantage de matériel, un ou une prof des écoles exerçant en CE2, préparant une banale séance de maths, aura aussi le plus souvent à se procurer, par exemple, une plastifieuse et des feuilles de plastification très onéreuses, parfois même, du papier.
Des préparations indispensables à l’accompagnement des élèves
Et même lorsque les préparations didactiques n’ont plus nécessairement à être créées de A à Z, comme lorsque les enseignants sont en charge d’un même niveau pendant plusieurs années consécutives, le temps consacré à la préparation ne s’écroule pas. Loin de là. Sans même parler de ces autres préparations (P, E, A, G, O) qui ne relèvent pas des préparations didactiques (D) et qui, globalement, demeurent en dépit de l’expérience, il apparaît en réalité que les préparations didactiques (D) ont elles aussi quelque chose d’irréductible.
En effet, en l’état actuel de la vision de l’éducation telle qu’elle est donnée par l’éducation nationale et par les instituts universitaires de formation, enseigner à de jeunes élèves et à de très jeunes élèves, non autonomes par définition, ne peut consister à délivrer de manière frontale des cours magistraux. L’enseignement ne suffit pas, il requiert invariablement une préparation de la part du prof des écoles, chargé d’accompagner chaque enfant vers les apprentissages, de plus en plus individuellement d’ailleurs.
Aussi, contrairement aux idées reçues, le ou la prof des écoles ne réutilise pas telles quelles ses préparations d’une année à l’autre. Au minimum, il ou elle aura à réadapter ses préparations didactiques : chaque nouvelle classe se composant en effet de nouveaux élèves qu’il faut de nouveau intéresser, « faire rentrer dans les apprentissages ».
C’est là le propre de la pédagogie du prof des écoles qui se décline simultanément tant pour le groupe que de manière différenciée, ce qui provoque une charge importante de préparations de toutes sortes à réaliser. Le moyen mnémotechnique « PEDAGO » permet d’inventorier et de mémoriser les six ensembles de préparations incontournables à la mise en œuvre de la pédagogie du prof des écoles :
P : préparations de planification didactique
E : préparations relatives à l’évaluation
D : préparations pédagogiques et didactiques
A : préparations administratives et de concertation
G : préparations relatives à la gestion des élèves
O : préparations relatives à l’organisation de l’activité de préparation
Une organisation de travail complexe
Toutes les réévaluations effectuées suggèrent que la durée de l’activité de préparation des professeurs des écoles aurait augmenté, si bien qu’elle serait aujourd’hui proche, voire supérieure, au temps imparti à l’enseignement. Concrètement, au-delà des 44 heures de travail au total par semaine rapportées par une étude, ancienne déjà, leur temps de travail total hebdomadaire aurait atteint entre 45 heures et 48 heures.
Quelques comparaisons permettent d’ailleurs de démontrer que les professeurs des écoles français, au regard d’autres catégories d’actifs français ou européens, n’ont pas à rougir du temps qu’ils passent à travailler. Et la question de la durée des vacances, elle, doit être comprise au prisme de la question des femmes et du cumul d’activités qui leur incombe à leur domicile, pour un métier où plus de 8 professeurs des écoles sur 10 sont des femmes.
Il faut dire que l’organisation de leur travail est inédite, elle ne ressemble à aucun autre métier. L’activité de préparation se fragmente de tôt le matin jusqu’à tard le soir, au domicile, à l’école ainsi que sur le temps d’enseignement.
Le métier de professeur des écoles aujourd’hui est plus complexe qu’il n’y paraît, que ce que notre propre expérience d’écolier nous suggère et que ce que nos seuls yeux nous permettent de voir. Or, le faible intérêt que suscite l’activité de préparation, au regard de la place et du rôle qu’elle prend, questionne. Loin d’un simple « débordement du travail », elle représente une part colossale du travail total, une part non rémunérée et laissée finalement à la discrétion des enseignants.
Il y a trente-sept ans maintenant, dans un article publié dans la Revue française de pédagogie, « Le malaise des enseignants », José M. Esteve et Alice F. B. Fracchia s’exclamaient déjà :
« Peut-on améliorer les résultats de l’enseignement alors que les innovations et les efforts en ce sens doivent toujours se fonder sur le volontariat ? Peut-on demander aux enseignants de puiser éternellement dans leur temps personnel pour y participer ? »
Léa Chabanel-Kahlik, Docteure en Sciences de l’éducation, spécialiste de l’organisation du travail des enseignant·es du premier degré en France, Université de Lille
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
