Loisirs et vacances : les enfants doivent-ils toujours apprendre quelque chose ?
Pendant leurs temps de loisirs et leurs vacances, les enfants et les adolescents apprennent d’une autre manière qu’à l’école. Mais les accueils extrascolaires n’ont-ils pas tendance à intégrer de plus en plus la forme et les exigences scolaires ? Quelles sont les attentes des animateurs, des enfants et des adolescents ?
En 2023-2024, on dénombrait 1,34 million de départs d’enfants ou d’adolescents en colonies de vacances. Il y a trente-cinq ans, c’était 4 millions d’enfants qui partaient chaque année dans ce cadre. En parallèle du recul de ce type de séjours, on peut relever le développement de séjours à thèmes et l’apparition de logiques de consommation questionnant la perspective éducative des loisirs.
Il est pourtant établi que les temps de loisirs et de vacances participent à la construction des enfants et des adolescents, en contribuant à leur développement psychosocial. Les choix qui peuvent être effectués et les projets élaborés dans les activités de loisirs favorisent la créativité, l’autonomie et la prise de décision, permettant aux enfants et aux adolescents d’être acteurs de leur socialisation.
Les loisirs constituent un lieu d’expériences favorisant l’épanouissement immédiat, lié au plaisir et à la satisfaction individuelle, mais aussi un lieu d’exploration et d’apprentissages spécifiques, grâce à la participation au processus de décision. En lien avec les intérêts et les besoins psychologiques des jeunes, les pratiques de loisirs contribuent ainsi à l’expression et à la réalisation de soi.
L’animation enfance et jeunesse, issue de l’éducation populaire, représente une forme d’éducation non formelle, s’inspirant de l’éducation nouvelle. Elle privilégie, d’une part, des méthodes participatives et, d’autre part, les « composantes du développement physique, psychique et social de l’enfant ». On constate cependant que de nombreux centres de vacances et de loisirs des enfants restent « prisonniers de la forme scolaire », tant par la programmation que par la gestion temporelle et l’organisation spatiale des activités.
La visée éducative des loisirs prime chez les adultes
Nous sommes allées repérer la place accordée au choix des activités et à la construction de projets, tout au long de l’année et sur les temps de vacances, en interrogeant 61 professionnels exerçant dans des structures d’animation enfance et jeunesse, ainsi que 50 enfants et adolescents fréquentant un accueil de loisirs enfance ou jeunesse.
Les animateurs socioculturels (25 femmes et 36 hommes) exerçaient dans diverses structures d’animation dans les régions de Bretagne et de Pays de la Loire. Ils se distinguaient par leur diplôme et occupaient des fonctions d’animation, de coordination ou de direction.
Les 31 enfants (15 filles et 16 garçons), âgés de 5 à 10 ans (moyenne d’âge 7,5 ans), étaient usagers réguliers d’un accueil de loisirs sans hébergement de l’agglomération nantaise. Les 19 adolescents (5 filles et 14 garçons), âgés de 11 à 18 ans (moyenne d’âge 16,10 ans), fréquentaient régulièrement un accueil de jeunes de l’agglomération rennaise.
Les thèmes centraux évoqués par les animateurs concernaient l’organisation d’activités lors des temps de vacances, les projets réalisés avec les partenaires et les jeunes tout au long de l’année, les publics et les pratiques d’animation. À propos de la question spécifique des séjours de vacances, c’est principalement l’âge du public (enfant ou adolescent), qui orientait leurs représentations, moins favorables aux choix et aux initiatives des enfants.
Les résultats ont mis en évidence la primauté de la visée éducative des loisirs dans les représentations des animateurs à propos des séjours de vacances et des activités de loisirs, auprès des adolescents et encore plus des enfants, parfois au détriment des apprentissages informels et de la visée émancipatrice des loisirs. Les animateurs évoquaient l’encadrement des plus jeunes et la responsabilisation des plus âgés, notamment par la conduite de projets co-construits avec les adolescents.
Pour ces adultes, les loisirs des enfants et des adolescents doivent être investis par le projet éducatif, même lors des temps de vacances. Ce constat est à rapprocher des évolutions sociétales qui mènent, en réponse aux attentes des familles, à proposer des séjours à thèmes dans une perspective éducative.
Liberté et détente plébiscitées par les enfants et adolescents
Du côté des enfants et des adolescents, s’ils agissent dans un champ structuré par les adultes, ils n’en investissent pas moins leur propre espace d’autonomie et leurs propres projets. Ainsi, les plus jeunes détaillaient le processus de décision qui les amène à choisir leurs activités de loisirs et mettaient l’accent sur le jeu libre tout au long de l’année, comme lors des vacances. Les adolescents évoquaient la recherche de détente, de convivialité et de relations paritaires dans le cadre de leurs loisirs, et ce, quel que soit le temps de loisirs ; ainsi que l’organisation de leurs vacances, souvent en autonomie, à l’extérieur de l’accueil de jeunes, avec la conduite de projets d’autofinancement.
Les enfants et les adolescents plébiscitaient donc la liberté en termes de choix d’activités et de construction de projets dans leurs loisirs.
Au regard du contraste entre les représentations des adultes et celles des enfants et des adolescents, il s’agirait, dans une perspective de réalisation de soi et de développement des jeunes, d’inciter les professionnels à remiser la dimension éducative des loisirs, pensée par les adultes pour les jeunes, au profit de plus de liberté et de gratuité dans les loisirs des enfants et des adolescents.
Ainsi, les animateurs socioculturels pourraient utilement prendre en compte, plus pleinement, le rôle du jeu libre, des activités sociales tournées vers la relation avec les pairs et des activités de détente sans exigences particulières. Il s’agirait donc de replacer l’enfant et l’adolescent au centre des accueils, en leur laissant le pouvoir de décider, de faire des choix et d’élaborer des projets.![]()
Emmanuèle Gardair, Maître de conférences en psychologie sociale, Université d’Angers et Stéphanie Constans, Maître de conférences en Psychologie du développement et de l’éducation
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
